Interview de Déborah Aisenberg, créatrice de l'application Shifters
Le manque de sommeil ça vous parle ? Alors imaginez ce que peut ressentir une interne en hôpital après plusieurs gardes ! C’est pour répondre à cette souffrance et améliorer le sommeil de tous les travailleurs en horaires décalés que Déborah Aisenberg, une brillante pharmacienne de 26 ans passée par le MSc Polytechnique-HEC Bioentrepreneur, a décidé de créer Shifters, une application innovante développée avec des médecins du sommeil. Dans cet entretien passionnant elle revient sur son parcours, la genèse du projet et nous donne un super bouquin à lire !
- Peux-tu nous raconter ton enfance ?
J’ai eu une enfance très heureuse et sportive, j’ai pratiqué pendant 12 ans du roller artistique et de l’équitation. J’habitais avec mes parents et mes deux petites sœurs en région parisienne. Ma maman est médecin ORL et connait bien les problématiques liées au sommeil et mon papa est chef d’entreprise dans une société d’informatique qu’il a fondée. Mes parents m’ont transmis des valeurs de dépassement de soi, de persévérance, d’aller au bout de ses rêves. J’ai toujours aimé apprendre et travailler, j’avais de bons résultats à l’école j’étais en tête de classe. Après un bac scientifique je me suis dirigée vers des études de pharmacie à l’Université Paris-Descartes., côté recherche. En quatrième année, j’ai rencontré des entrepreneurs dans le secteur de la santé et je me suis aperçue au cours de stages que le milieu de la recherche était peut-être trop cadré et prévisible pour mon tempérament. J’ai donc poursuivi mon parcours par le Master Bio-entrepreneurs mené conjointement par l’Ecole Polytechnique, Paris Descartes et HEC.
- Justement qu’est-ce que t’a apporté chaque école ?
Je suis passionnée par les neurosciences donc j’ai vraiment adoré faire un M2 en Neurosciences cognitives et comportementales à la fin de mes études de pharmacie. Celles-ci m’ont d’ailleurs donné des bases solides en sciences et en santé, m’ont appris à savoir lire une bibliographie, faire preuve d’esprit critique par rapport à un article scientifique. Le Master X-HEC m’a permis d’avoir une vision beaucoup plus « business », pouvoir gérer tous les aspects d’un projet entrepreneurial : négocier un contrat, développer une stratégie de communication, des outils marketing etc.
- Quel souvenir gardes-tu de ton passage dans des labos de recherche à l’INSERM, au Collège de France et en Suisse ?
Ces stages m’ont beaucoup appris, j’ai pu travailler sur des pathologies variées : le syndrome d’Ondine [maladie génétique rare due à une atteinte du système nerveux autonome] à l’INSERM, l’épilepsie au Collège de France, la maladie d’Alzheimer dans une biotech en Suisse où j’ai pu être très autonome dans le choix des protocoles.
J’ai beaucoup appris du système de fonctionnement de la recherche. J’ai, à chaque fois, travaillé sur des solutions pour traiter ces pathologies et c’est comme cela que je me suis rendue compte que je voulais faire de l’entrepreneuriat. La recherche permettait de creuser de grosses problématiques en profondeur mais pas d’apporter rapidement des solutions aux patients.
- Qu’est-ce qui t’a fait sauter le pas pour lancer Shifters ?
Le projet est né d’une rencontre avec une urgentiste qui travaillait à l’hôpital et me racontait sa souffrance d’être privée de sommeil. Pendant le Master Bioentrepreneur, je devais présenter un projet de création d’entreprise et je trouvais que le sujet d’aider les travailleurs en horaires décalés à améliorer leur sommeil répondant à un vrai besoin et était en cohérence avec ma passion des neurosciences. Je suis d’abord partie sur une idée de bracelet connecté ou de patch pour finir par aboutir à l’idée d’une application. J’ai ensuite fait valider le concept par des médecins du sommeil pour que tout soit scientifiquement cohérent. Aujourd’hui j’ai réuni des médecins et scientifiques de renom dans un board qui nous conseille.
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- En lisant Why we sleep de Matthew Walker j’ai découvert à quel point le sommeil était important, peux-tu nous rappeler ses multiples bienfaits ?
En fait c’est le manque de sommeil qui peut avoir de graves conséquences sur la santé. Un manque de sommeil chronique conduit à la production d'hormones et de molécules qui augmentent le risque cardiaque mais aussi d'autres risques, comme l'hypertension artérielle et le cholestérol, le diabète et l'obésité. D’importantes études scientifiques ont montré que la réduction de temps de sommeil et la désynchronisation des rythmes biologiques libèrent certaines hormones de façon déréglée : notamment le cortisol, qui stimule la libération d’insuline et des modifications de l’appétit. Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) avait classé en 2007 le travail de nuit dans le groupe des cancérogènes probables pour l’homme.
On trouve également de nombreuses conséquences sur les fonctions cognitives comme une diminution de la vigilance et de la concentration et une augmentation du temps de réactivité dans l’urgence.
- Pourquoi avez-vous choisi d’aider en priorité les personnes en horaires décalés ?
Les travailleurs en horaires décalés sont le groupe qui souffre le plus du manque ou de désynchronisation du sommeil et paradoxalement c’est celui pour lequel aucune solution n’existe. Pour le grand public, il existe déjà plusieurs solutions même si elles sont de qualité scientifique inégale (Moona, Dreem, Sleep Cycle, Apple, Fitbit qui vient d’être racheté par Google).
Pendant mes études de pharmacie je voulais travailler sur les maladies rares dites orphelines, ça me motive d’apporter une solution à des gens pour qui rien n’est fait.
- Quel est votre business model ?
Nos utilisateurs sont tous les travailleurs en horaires décalés : soignants, transport aérien, boulangers, gardiens de nuit, etc. ça représente 23% de la population active soit 6 millions de personnes. Notre modèle est BtoBtoC : on vend l’application à des sociétés (sur la base d’une licence par utilisateur) qui la mettent à disposition de leurs salariés pour améliorer leur santé, leur bien-être au travail et leur productivité. Nous avons lancé l’application sur les stores en novembre 2020.
- Quels sont les premiers retours ?
Formidables ! les utilisateurs sont super volontaires, ils renseignent les informations requises pour avoir un diagnostic et des conseils personnalisés, on sent une vraie attente, le besoin est là ! On a signé un premier contrat avec un hôpital et maintenant on est dans la phase de déploiement.
- Comment vous partagez-vous les rôles avec Marc et Joëlle tes cofondateurs ?
Après la phase d’idéation, je cherchais des cofondateurs pour porter ce projet avec moi. J’ai mis une annonce sur LinkedIn et c’est comme ça que j’ai rencontré Marc (qui sortait de l’EPITA) qui est notre CTO, a codé l’appli et qui s’occupe de l’algorithme et des data et Joëlle (qui a une licence en biologie et un master en management de la santé) notre CCO qui est en charge du marketing et des clients. Je m’occupe de la coordination, du produit et des retours utilisateurs.
- Vous avez rejoint le programme régional d’incubation Pépite, tu peux nous raconter le processus de sélection ?
On a passé un oral pour présenter notre projet et ensuite on a été pris. Les locaux sont dans station F donc en openspace. Cela joue sur le fait qu’il règne dans le programme une super ambiance entre les 23 start-ups. On y trouve des secteurs et sujets variés ce qui permet vraiment une grande richesse des discussions et des aides et conseils apportés par chacun.
- Si tu pouvais inviter 3 personnes à un dîner, quelles seraient-elles ?
Lionel Naccache c’est un neurologue et chercheur en neurosciences (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Inserm, Institut du cerveau et de la moelle épinière). Ses travaux portent en particulier sur la conscience et ses altérations. Jules Verne et J.K. Rowling dont j’adore les livres !
- Comment partages-tu ton temps aujourd’hui ? Parviens-tu à déléguer ?
Dernièrement avec le lancement de l’application, le rythme a été très soutenu je n’ai pas pris de vacances. Je commence à travailler tôt, vers 8h. J’essaie tout de même de garder du temps pour moi. J’aime passer du temps avec mon copain et avec ma famille, et je suis chorégraphe dans une association de comédie musicale (Rise-Up), j’adore danser ! En ce qui concerne la capacité à déléguer, je pars du principe que si les gens font partie de l’équipe c’est qu’on les a choisis et donc qu’on peut leur faire confiance.
- Quel est le livre qui t’a le plus marqué et pourquoi ?
J’ai récemment lu Incognito de David Eagleman (Robert Laffont). C’est une plongée fascinante dans le fonctionnement de notre cerveau pour révéler la machinerie complexe du subconscient. Par exemple ça discute la responsabilité pénale d’un somnambule (s’il tue quelqu’un doit-il aller en prison ?) ? je recommande chaudement !
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- Quel est le rêve qui te reste à réaliser ?
Le premier qui me vient à l’esprit c’est de nager avec des tortues marines !
- Quel est le plus beau voyage que tu as réalisé ? Pourquoi ?
Tous les ans, on part tous les 5 en famille faire un beau voyage. J’ai adoré la Thaïlande, les paysages, les temples magnifiques, la gastronomie !
- Quel est le meilleur conseil qu'on t’ait jamais donné ?
Mon père m’a toujours dit de ne jamais lâcher, de ne jamais se décourager.
- Comment progresses-tu ?
Par une remise en question permanente. J’apprends beaucoup sur le tas et j’aime discuter avec des gens et apprendre à leur contact.
- Que penses-tu des compléments alimentaires ? En prends-tu personnellement ?
J’en pense du bien mais je n’en prends que très rarement. Je fais plutôt des cures ponctuelles, par exemple de vitamine C.
- Que penses-tu de Colette Lab ? As-tu un conseil nous prodiguer ?
Beaucoup de bien ! Dans ma famille on prend du konjac depuis peu, sous forme de nouilles par exemple et ça marche vraiment bien pour la réduction d’appétit ! Je trouve que l’idée d’apporter les bienfaits de cette plante sous forme de compléments bio et naturels est une très bonne idée !
Merci Déborah <3
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